La galère des psychologues sur le marché du travail
Retrouvez cet article publié sur le site du Cercle Psy.
Une fois le titre obtenu après cinq années d’étude, multiples sont les difficultés que peuvent rencontrer le psychologue. De l’accès périlleux au premier emploi au non respect de leur pratique, en passant par la non reconnaissance de leur titre, de nombreux cliniciens s’essoufflent. Comment s’en sortent les jeunes diplômés ? Quelles difficultés peuvent rencontrer les psychologues une fois en poste ? A qui la faute ?
C’est le 25 juillet 1985 que naît le titre de psychologue : au regard de la loi 85-772 sont désormais officiellement psychologues les « titulaires d’un diplôme, certificat ou titre sanctionnant une formation universitaire fondamentale et appliquée de haut niveau en psychologie ». Malgré cette protection tant attendue, certaines difficultés inhérentes à la profession continuent de sévir… tandis que d’autres font leur apparition.
Trouver un premier emploi de psychologue : une mission de taille
Aujourd’hui, le premier obstacle auquel se confrontent les psychologues en herbe demeure l’accès à l’emploi. Dès la première année de psychologie, professionnels de l’orientation et enseignants d’université sensibilisent leurs étudiants au manque de débouchés de la profession. Tous les mettent en garde contre une insertion professionnelle périlleuse et concurrentielle. Pourtant, les études de psychologie continuent de séduire, et les amphithéâtres ne désemplissent pas : pris dans une volonté de comprendre l’esprit humain, et bien souvent de se comprendre eux-mêmes, de nombreux bacheliers entament un cursus de psychologie. Ce n’est qu’une fois le diplôme en poche que le principe de réalité du marché du travail s’opère !
Un marché de l’emploi saturé
Sur les 45 000 psychologues diplômés, on estime à 35 000 le nombre de psychologues en exercice. En 2005, selon l’Atelier du Congrès de la Société Française de Psychologie (SFP) intitulé « Métier : psychologue ou Métiers de la psychologie », 88 % d’entre eux exerceraient à temps partiel. Sur les 4 000 psychologues employés par la Fonction publique territoriale, seuls 1 500 sont titulaires. On dénombre par ailleurs entre 2 000 et 5 000 psychologues en libéral. Toutefois, il est difficile d’établir des statistiques représentatives car, d’une part, aucune donnée officielle n’est établie, et d’autre part, la grande majorité de ces professionnels cumulent les temps partiels et les employeurs.
Les offres d’emploi publiées sur les sites internet sont prises d’assaut par des dizaines, voire des centaines de candidats. La majorité des psychologues trouve un poste via un réseau de collègues développé au cours d’un emploi précédent. La recherche est donc d’autant plus complexe pour les jeunes diplômés dont l’expérience et le réseau n’en sont qu’aux balbutiements. Et la période de chômage se prolonge. Si cette difficulté d’insertion professionnelle est manifeste, les raisons de celles-ci sont quant à elles plus confuses.
Universités ou psychologues : à qui la faute ?
Selon Christine Goubert, psychologue clinicienne, conseillère technique du Syndicat National des Psychologues, et secrétaire de rédaction de la revue Psychologues & Psychologies, les universités ont leur part de responsabilité : « D’une part, l’université délivre des diplômes de psychologues en trop grand nombre, sans se soucier des possibilités d’emploi. D’autre part, la formation qu’elle propose est souvent trop théorique et pas suffisamment professionnalisante. » Actuellement, de plus en plus d’enseignants envisagent d’ailleurs de réorganiser la formation. Les universitaires souhaitent procéder à une sélection efficiente, et ce bien avant la troisième année de Licence ou le Master comme cela se fait aujourd’hui. Le Syndicat National des Psychologues œuvre par ailleurs en faveur de la mise en place d’un Doctorat professionnel, plus professionnalisant, qui consisterait à ajouter une année de stage après l’obtention d’un Master 2 professionnel. Maryvonne Mesqui, consultante au SOFIP (Service Offre de Formation et Insertion Professionnelle) de l’Université de Paris Descartes auprès de futurs psychologues, pointe quant à elle la qualité de leur recherche d’emploi : « Elle est souvent trop restrictive. Leur formation leur offrant le titre de psychologue, ils ne souhaitent que devenir psychologues cliniciens, tel qu’on leur enseigne à la faculté, auprès du patient. Beaucoup partagent une vision idéalisée du métier et frappent de ce fait aux mêmes portes. » Ainsi, nombreux sont les psychologues qui souhaitent exercer dans une structure de type Centre Médico-Psychologique ou hôpital, et incarner le psychologue tel qu’il apparaît dans l’inconscient collectif. Il existe actuellement pourtant de multiples manières de mettre à profit ses compétences de psychologue. Le marché du travail regorge d’opportunités dont peu se saisissent : formation, conférences, journalisme, développement de jouets pour enfants, consultation en entreprise… « Je m’efforce d’élargir leur horizon professionnel, explique Maryvonne Mesqui. Il ne s’agit pas de dire : « j’ai un diplôme de psychologue alors je veux un poste de psychologue », mais plutôt : « j’ai des compétences en psychologie, voilà ce que je vous propose ». L’objectif étant de faire coïncider leurs compétences avec les besoins du marché du travail ».
Florence Agé, Responsable en orientation et en insertion professionnelle à Sciences Po et animatrice de construction de projet professionnel auprès de futurs psychologues de l’université Paris Descartes, complète : « Je trouve pourtant les étudiants en psychologie particulièrement aptes à s’engager dans une réflexion sur eux-mêmes pour construire au mieux leur projet professionnel. Cette maturité les distingue considérablement des étudiants d’autres cursus. Leur formation cultive en eux cette capacité à prendre du recul et à analyser leur parcours, des compétences-clés à toute insertion professionnelle ». Or, si cette dernière représente une mission de taille pour une majorité de psychologues, l’accès à un premier poste est susceptible de les confronter à d’autres types de difficultés. En commençant par la précarité de leur vie professionnelle caractérisée par des bas salaires, des CDD, une accumulation de temps partiels…
Leur pratique peut être mise à mal…
Si le titre de psychologue est protégé par la loi, sa pratique ne l’est pas, ni le code de déontologie sur lequel il se base. Ce qui représente, selon Christine Goubert, le second point faible de la profession, après celui de la formation non professionnalisante. Le code de déontologie, non légalisé, demeure un code éthique indicatif mais non opposable juridiquement. « Je me souviens, confie Christine Goubert, qu’un médecin hospitalier avait obligé une psychologue de son service à prendre individuellement en thérapie deux membres d’une même famille, ce qui était déontologiquement inconcevable pour cette clinicienne. Or, elle a dû s’y plier : sans quoi elle était licenciée. » Les préconisations du supérieur hiérarchique, quelle que soit sa formation, priment donc sur le code de déontologie du psychologue. C’est la raison pour laquelle le Syndicat National des Psychologues œuvre toujours en faveur d’un Ordre des Psychologues. Toutefois de nombreuses autres organisations continuent de s’y opposer, dont la Fédération Française des Psychologues et de Psychologie. Celle-ci préférerait que le Code de déontologie fasse l’objet d’un décret d’application de la loi du 25 juillet 1985, ce qui protégerait le psychologue, comme le public, des mésusages de la psychologie.
… Et leur titre n’est pas toujours reconnu !
Si certains psychologues s’efforcent de faire accepter la spécificité de leur pratique, d’autres ne parviennent même pas à faire reconnaître leur titre. C’est le cas entre autres des accompagnateurs d’enfants autistes. De telles offres d’emploi, publiées en grand nombre par Pôle Emploi, vont à l’encontre de la loi de 1985. Car si la mention de psychologue est indiquée noir sur blanc sur l’annonce, le poste réel, lui, ne correspond pas à un poste de psychologue, mais davantage à celui d’un éducateur spécialisé. Mais l’administration de Pôle Emploi répertorie le statut de psychologue à un niveau de BAC + 2… Dans cette lignée, une association du champ social emploie une soixantaine de psychologues sur titre au sein de son service de téléphonie pour adolescents et parents en difficulté. Celle-ci met en avant, via ses prospectus et sites internet, la qualité des psychologues qui réceptionnent les appels sur ses différentes lignes. Mais au cœur de l’association, la réalité est tout autre : ces professionnels ne sont considérés par la direction que comme des Écoutants de niveau BAC + 3, sur la base de la Convention Collective de l’Animation. Cette non reconnaissance symbolique et financière de leur qualité de psychologue cultive, selon certains de leurs salariés, une « réelle maltraitance institutionnelle ».
L’ensemble de ces mésusages du titre et de la fonction conduit immanquablement à une maltraitance des psychologues et de la psychologie en France. Une maltraitance à laquelle, étonnamment, peu de psychologues s’opposent : « Beaucoup ne sont pas dans la vraie vie et souffrent d’une méconnaissance des lois, de leurs droits et de leurs devoirs », regrette Christine Goubert. « Pour une grande part, la place dérisoire des psychologues résulte de leur inertie, en tant que corporation, à défendre leur territoire : en position de soumission, tenant des attitudes individualistes (…) et incapables de se structurer dans des luttes professionnelles », souligne avec regret Patrick Ange Raoult, maître de conférences en psychologie clinique et pathologique de Grenoble 1, auteur de l’ouvrage La psychologie clinique et la profession de psychologue : (dé)qualification et (dé)formation (L’Harmattan, 2005).
Il s’avère donc complexe de déterminer l’origine des difficultés des psychologues cliniciens. Est-ce la faute d’un marché du travail saturé ? D’une formation incomplète ? D’une concurrence toujours plus intense ? D’employeurs peu respectueux ? Ou bien d’un manque de pragmatisme et de revendication des psychologues eux-mêmes ? Seul l’avenir et les réformes futures qui le ponctueront, nous le diront peut-être.
Pour aller plus loin…
Syndicat National des Psychologues, 40 rue Pascal, Paris. Site internet : www.psychologues.org
Bulletin mensuel Psychologues & Psychologies portant sur la parole publique du psychologue (Syndicat National des Psychologues, Juin 2012).
Fédération Française des Psychologues et de Psychologie, 77 avenue Edouard Vaillant, Boulogne-Billancourt. Site internet : www.psychologues-psychologies.net
Service Offre de Formation et Insertion Professionnelle (SOFIP) de l’université Paris Descartes, siégeant au 12 rue de l’Ecole de Médecine, Paris. Site internet : www.sofip.parisdescartes.fr
Patrick Ange Raoult et al. (L’Harmattan, 2004). La disparition des psychologues cliniciens. Luttes et conflits.
Patrick Ange Raoult et al. (L’Harmattan, 2005). La psychologie clinique et la profession de psychologue: (dé)qualification et (dé)formation.
Rester actif malgré le chômage
C’est durant la période critique de la recherche d’un premier emploi que Cyrielle Vinet, diplômée de l’Ecole des Psychologues Praticiens en 2011, a ressenti le besoin de créer son blog psycogitatio. « C’était un moyen pour moi de continuer à me former et de garder un lien avec la psychologie malgré le chômage. Il m’a maintenue dans l’idée d’être une psychologue active et confiante en ses compétences, ce qui est loin d’être évident en cette tumultueuse période d’inactivité professionnelle. » Son blog, toujours d’actualité, consiste à centraliser les évènements liés à la psychologie (conférences, émissions radiophoniques et télévisées), et à réunir les psychologues, tous courants confondus. Sa devise : « S’informer, se former, se rassembler. »