Master 2 de psychologie : le phénomène des «reçus-collés»
Retrouvez cet article publié dans le hors-série « Qui sont (vraiment) les psychologues » de la revue le Cercle Psy.
Il faut détenir un Bac+5 pour décrocher le titre de psychologue. Or, la sélection à Bac+4, vivement controversée, laisse beaucoup d’étudiants sur le carreau…
« Personne ne nous a informés, ni ne nous a préparés à passer cette sélection. Dans mon cas, je me suis pris la réalité dans la tête en cours de Master 1, en amphi, lorsqu’un professeur a annoncé sur un ton sarcastique qu’il n’y aurait pas 10 % d’entre nous qui seraient acceptés en Master 2, et que les restants n’avaient plus qu’à rentrer chez eux », se souvient Anastasia Huard, étudiante en Master 2 de psychopathologie clinique, spécialisée en criminologie et victimologie, à Poitiers. C’est l’histoire éprouvante, mais habituelle, de futurs psychologues qui apprennent, à un an du diplôme… qu’ils ne seront pas psychologues. Pour saisir au mieux l’ampleur du phénomène, rappelons le contexte. La formation de psychologue se compose de cinq années au minimum (s’il n’y a pas de redoublement), sur les bancs de l’université pour la majorité. Or, pour décrocher le titre, l’étudiant doit valider sa licence, son Master 1 mais également… son Master 2. C’est à cette ultime étape que les choses se corsent. Car les facultés de psychologie, prises d’assaut par les bacheliers en nombre, sont bien sûr en incapacité de délivrer autant de diplômes qu’elles comptent d’étudiants. Une sélection s’impose. Et la plupart l’opèrent à l’entrée du Master 2, de manière plus ou moins anticipée, et pour des raisons plus ou moins officielles.
Des critères de sélection nébuleux
Pour couronner le tout, chaque université est en roue libre. « De nombreuses facultés de psychologie exigent une moyenne minimum en Master 1 : 13/20 pour certaines, 14/20 pour d’autres. Certaines universités l’annoncent clairement sur leur plaquette d’information, d’autres non. On finit alors par l’apprendre au détour d’échanges officieux avec des étudiants et des professeurs », regrette Anastasia Huard.
S’ajoutent d’autres critères : le choix du futur mémoire de recherche, le fait d’avoir trouvé, ou non, son futur stage, le projet professionnel… Mais ce n’est pas tout. « J’avais été refusée dans plusieurs universités, malgré une moyenne excellente, témoigne l’étudiante. Après avoir insisté auprès du service administratif de l’une d’entre elles, l’employé a fini par lâcher le morceau : « Ce n’est pas votre dossier qui coince. C’est juste que vous êtes dans une fac qui est psychanalytique alors que nous sommes davantage cognitivistes ! » » Un argument qui flirte avec l’illégitimité quand on sait, d’une part, que l’orientation théorique d’une université n’est pas inscrite noir sur blanc, et d’autre part que, bien souvent, l’inscription d’un bachelier dans un établissement est sectorisée et dépend donc de l’adresse de son domicile.
Refusée en Master 2 par plusieurs universités, Anastasia Huard a jugé bon de compléter sa formation afin de maximiser ses chances d’être acceptée l’année suivante. Elle opta pour deux diplômes universitaires. À sa grande surprise, cet investissement, humain et financier (d’un coût total de 1 780 euros !), se retourna contre elle : « Une université m’a reproché d’être cette fois trop spécialisée ! Je n’en croyais pas mes oreilles ! J’étais dépitée… ».
Quelles alternatives ?
Clémence Grignon, psychologue clinicienne, diplômée de l’université Paris Ouest Nanterre La Défense, s’indigne, dans son article « Coup de gueule : la sélection en Master 2 », sur son site web de conseils aux étudiants en psychologie etudepsychologie.com : « Après quatre années d’études, les étudiants sont remerciés. (…) Ils doivent batailler pour avoir des explications sur le motif de leur refus et faire face à une sacrée remise en question, voire à une dépression. » Que deviennent alors les étudiants non sélectionnés en Master 2, détenteurs d’un Master 1 qui, avouons-le, ne vaut pas grand-chose sur le périlleux marché du travail actuel ? Livrés à eux-mêmes, ces étudiants s’engouffrent dans des filières multiples et variées, errent sur les bancs de la fac jusqu’à décrocher des Diplômes Universitaires et/ou repasser un Master 1, multiplient les stages en psychologie, se réorientent.
Sur Internet, les échanges en la matière fusent : « J’avais envisagé plusieurs possibilités : un deuxième M1 pour compléter mes bagages et pouvoir faire un stage en complément, tenter le concours d’orthophonie, me réorienter et faire un BPJEPS [Brevet professionnel de la jeunesse, de l’éducation populaire et du sport, n.d.l.r.] pour devenir animatrice et travailler en maison de retraite, à défaut d’y être psychologue », confie une internaute (1). « Alors de mon côté… Voyant que je n’allais pas être prise en M2, et ne voulant pas rester une année en stand-by, j’ai opté pour la Belgique avec l’université de Mons. Certes je devais repasser mon M1, mais avec l’opportunité de choisir des options générales et l’assurance de passer en M2, car là-bas, pas de sélection ! », témoigne une autre.
Si les étudiants en psychologie ne sont pas les seuls confrontés à cette sélection en Master 2, ils sont parmi les plus touchés. « En langues étrangères appliquées (LEA), le nombre de places passe de 3 200 en M1 à 2 000 en M2. En psychologie, l’effectif est carrément divisé par deux entre la première et la deuxième année : 11 000 contre 5 000 places », pouvait-on ainsi lire dans un article du journal Le Monde au début de l’année 2013 (2).
Les solutions idéales ? Elles n’existent pas. Mais les pistes d’aménagement de cette organisation mériteraient quant à elles d’être déployées : « Je pense qu’un développement des réorientations, des passerelles, des portes de secours vers les métiers du domaine médico-social est nécessaire », indique Clémence Grignon.
À quand une communication officielle de la part des universités sur ce phénomène ? À quand une bientraitance des étudiants investis dans leur formation ? Pour des spécialistes de la psychologie, nous pourrions nous attendre à davantage de… psychologie. ∞
(1) Ces témoignages ont été recueillis via Facebook, sur la page communautaire La psy contre attaque.
(2) Voir l’article de Sébastien Dumoulin, « Titulaires d’un Master 1 mais refusés en Master 2 », Le Monde, 30 janvier 2013
Depuis 2011, l’université Paris Descartes opère un contingentement dès l’issue de la troisième année de licence de psychologie, soit un an avant le Master 1. Vincent Rogard, professeur en psychologie, directeur du Master mention Psychologie, membre du Laboratoire Adaptations Travail-Individu (LATI), témoigne : « Le phénomène des reçus/collés a pris des proportions importantes dans notre université : cela concernait plus de 130 étudiants l’année précédant la mise en œuvre du contingentement. Contrairement à ce que certains craignaient, les étudiants ont parfaitement compris l’objectif de ce changement. Le dispositif a été présenté très en amont de la première campagne de contingentement, les critères généraux pour chaque spécialité ont été explicités dans la mesure du possible… Malheureusement, il y a toujours une part d’aléa à se prononcer sur la base d’un dossier après trois ans d’université, en référence à ce qui fait la difficulté et la spécificité du métier de psychologue. »